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Société des Missions Africaines –Province de Strasbourg

REIBEL Lucien né le 21 septembre 1908 à Saint-Pierre-Bois
dans le diocèse de Strasbourg, France
membre de la SMA le 29 juillet 1928
prêtre le 8 janvier 1933
décédé le 21 mai 1988

1933-1934 missionnaire au Togo, Palimé
1934-1936 au repos en famille
1936-1937 Haguenau, administration
1937-1938 Aubure, Saint-Pierre, Mulhouse
1938-1946 Vigneulles, économe
1946-1988 Saint-Pierre

décédé à Saint-Pierre, France, le 21 mai 1988,
à l'âge de 79 ans


Le père Lucien REIBEL (1908 - 1988)

Lucien Reibel est né le 21 septembre 1908 à Saint-Pierre-Bois, village situé au pied de la montagne et qui avait pris, au lointain Moyen Âge, le nom de premier titulaire de l’église qui domine toute la contrée.

Le Kirchberg, appelé aussi Aegidi¬berg, est bien connu dans tout le Val de Villé. Au sommet de cette colline, s’élevait de vieille date, à proximité de la forêt, sous le patronage de saint Pierre, une église : santi Petri ad nemus. Tombée en ruine, puis reconstruite, elle avait, au cours des temps, été dédiée au moine saint Gilles et était devenue un lieu de pèlerinage très populaire. Le Père Lucien Reibel aima beaucoup cette église : c’était l’église de ses années d’enfance et de sa première messe.

Les Pères des Missions Africaines passaient dans le Val de Villé et y faisaient connaître l’œuvre des missions. Lorsque le jeune Lucien eut atteint ses douze ans, il décida de se préparer à mener plus tard la vie apostolique. Le 2 octobre 1920, il entra à l’école d’Andlau. Il n’y a pas loin de Saint-Pierre-Bois à Andlau, il suffit de cheminer quelques heures sur l’antique voie qui unit la vallée à la plaine et que suivirent tant de pèlerins qui allaient prier au tombeau de sainte Richarde, abbesse d’Andlau. C’est dans un des bâtiments de l’ancienne abbaye que le Père Desribes avait établi une maison des Missions Africaines. Notre futur missionnaire y fut élève de la classe de 7e. L’année suivante, le 28 septembre 1921, il commença à Saint-Pierre ses études secondaires. Il ne fit pas la classe de 6e : dès le mois de novembre, il fit partie d’un groupe d’une douzaine d’élèves qu’on avait mis à part, sous la direction du Père Brugger, pour qu’ils puissent passer au bout d’un an en 4e. C’est ainsi qu’il entra en 4e en 1922 à Bischwiller et, après 4 ans, il accomplit à Chanly le temps du noviciat qui se termina par le serment s.m.a. le 29 juillet 1928. Il fit ses études théologiques, au grand séminaire à Lyon de 1928 à 1933, avec une interruption de 18 mois pour le service militaire en 1929-1930. Il fut ordonné prêtre à Lyon par Mgr Hauger, le 8 janvier 1933.

Dès l’automne suivant, le Père Reibel partit pour la mission du Togo, et il fut affecté à Palimé. Il en fut heureux. C’est, disait-il, la plus belle des missions actuelles au Togo. Il était plein de vénération pour le Père Keimer, supérieur de la station. Dès le début, il prit un grand intérêt à la prospérité des écoles catholiques : les enfants sont l’avenir. Dès le début aussi, il estimait que notre premier devoir c’est de connaître l’âme du peuple auquel nous voulons donner la nouvelle du salut. Aussi s’intéressait-il à la culture africaine et il se donnait la peine de recueillir les vieux récits où s’était exprimée la sagesse des anciens.

Mais brusquement ce bel élan du jeune missionnaire fut arrêté. Le 1er juillet 1934, malade, le Père fut hospitalisé à l’hôpital de Lomé. On crut d’abord à de l’érysipèle et on espéra que c’était bénin. En réalité il s’agissait d’une septicémie généralisée. Il avait 40° de fièvre et bientôt son état se révéla être très grave. La fièvre élevée persistait. Il pouvait à peine parler. Il était très amaigri. Le cas semblait, humainement, désespéré.

À cette époque, il n’y avait pas de possibilité facile de rapatriement sanitaire. Le voyage par bateau pour l’Europe était long et fatigant et l’on se demandait si le Père Reibel, qui était encore en danger de mort, aurait la force de le supporter. Enfin vers la fin d’août, il parut être physiquement en état d’affronter la traversée. Le Père Brédiger, Provincial de Strasbourg, qui faisait la visite des missions depuis novembre 1933, se trouvait au Togo et il devait se rembarquer à Lomé le 3 septembre. Avec le consentement du médecin de l’hôpital, il emmena avec lui le Père Reibel. Celui-ci était très faible, extrêmement fatigué, il pouvait à peine faire quelques pas. Néanmoins il n’y eut pas d’anicroche et l’on arriva heureusement à Marseille le 22 septembre. Il semblait même que le malade s’était quelque peu rétabli, mais en même temps était apparue, au cours du voyage, une pénible conséquence de l’intoxication qui l’avait atteint : le Père devenait sourd et sa surdité augmentait de jour en jour.

Les premières années qui suivirent son retour furent pour le malade une suite d’examens et de soins médicaux, une succession aussi d’efforts pour s’adapter à une situation difficile, qui se prolongeait contrairement à tout espoir. Néanmoins, le climat vivifiant de la vallée natale et la douceur du foyer paternel parurent devoir être les meilleurs moyens de l’aider à recouvrer la santé. Il vint donc résider à Saint-Pierre-Bois. Mais son séjour fut entrecoupé par plusieurs hospitalisations. Les bienfaits du repos n’étaient pas décisifs, la surdité persistait et des symptômes divers révélaient que le mal n’était pas vaincu.

Au début de janvier 1935, il se rendit pour la première fois à la Clinique Sainte-Odile à Strasbourg. Une sorte d’abcès s’était formé au bras, avec une enflure qui se développait. Il y retourna plusieurs fois, les abcès se multipliant au bras, à la jambe, au pied. Il fallait les inciser. Ils n’étaient pas encore cicatrisés que d’autres se présentaient. Tout cela n’était pas sans souffrance. Le Père ne se plaignait pas. Je ne m’en effraie pas, disait-il, je suis aguerri. Il était surtout reconnaissant des bons soins qu’il recevait de la part des médecins et des Sœurs infirmières : toute sa vie il garda le souvenir ému des Sœurs qui l’avaient si bien soigné à Strasbourg. Lorsqu’il pouvait revenir dans son village, il profitait des bienfaits de la belle nature pour aider à sa guérison. Le silence qui forcément m’entoure, disait-il encore, est vivifié par des sorties quotidiennes dans la forêt et égayé par les rayons du bon soleil. Il cherchait aussi à se rendre utile. Pendant quelque temps même la paroisse voisine de Thanvillé bénéficia de ses services. Le curé de cette paroisse était malade et son remplaçant également. Le Père Reibel qui ne pouvait ni entendre des confessions ni chanter des grands-messes, célébrait des messes sans chant, présidait le chapelet et les Saluts du Très-Saint Sacrement. Et constatant que les gens préféraient quand même cela à rien du tout, me voilà, écrivait-il, réduit au rôle de moindre mal. Disons plutôt : étant sourd, et ne valant pas grand-chose, il se trouve que je suis encore utile à quelque chose.

Mais il ne voulait pas, selon son expression, indéfiniment prolonger ses vacances à la maison. Il était prêt à reprendre quelque service aux Missions Africaines. Une collaboration à l’administration du Missions Glöcklein paraissant le mieux convenir à ses aptitudes actuelles, il vint à Haguenau, en janvier 1936. Puis, en juin 1937, il monta à Aubure comme aumônier du sanatorium Les Pins. Il visitait les malades, disait la messe au sanatorium voisin Les Bruyères qui avait une chapelle et où se trouvaient des Religieuses. Dans ses loisirs, il étudiait les Pères de l’Église et la spiritualité, il se documentait sur les missions, car, disait-il, je fais provision, il s’agit de mon retour en Afrique, je n’y renonce pas.

Mais le climat des montagnes ne l’a pas encore suffisamment rétabli, car l’hiver est rude à Aubure, situé à 800 m d’altitude. À la fin de janvier 1938 il retourne à Saint-Pierre. Ayant appris la reliure, il se proposa aussi de s’occuper d’apiculture lorsque l’occasion favorable se présentera. Au mois de juin 1938, il est envoyé à la Clinique du Saint-Sauveur de la Rue du Bourg à Mulhouse pour y aider l’aumônier, Mgr Waller qui, âgé et malade, ne peut plus accomplir toutes les obligations de sa charge. Pendant quelques semaines, le Père Reibel exerce avec zèle, de tout son pouvoir, le ministère auprès des malades. Mais l’état de santé de Mgr Waller s’aggravant, il fallut pourvoir la Clinique d’un aumônier valide qui puisse faire tout le travail. Le Père Eugène Gasser fut alors envoyé de Vigneulles à Mulhouse pour exercer les fonctions d’aumônier.

Le Père Reibel ne pouvait pas assurer un service complet. Sa surdité était un obstacle insurmontable. Il avait consulté pour cela beaucoup de médecins auristes mais ceux-ci demeuraient impuissants face au mal. Pourtant au Städtisches Krankenhaus de Reuchen en Bade, où il avait passé quelques semaines, le Docteur lui avait donné l’assurance qu’il entendrait de nouveau. À Aubure, on avait perçu une amélioration, il pouvait entendre la T.S.F. et quelques bruits acoustiques. Il était passé aussi à l’Institut des sourds-muets à Strasbourg pour s’exercer à la lecture labiale et grâce à un appareil, il commença d’entendre de nouveau quelque peu. Il gardait un secret espoir de guérison. Mais lorsque le 2 janvier 1940, devant être réformé du service aux armées, il comparut devant la faculté médicale militaire, il perdit cet espoir. De fait, la possibilité d’audition ne fit que diminuer au cours des années.

En quittant Mulhouse, en automne 1938, il vint à Vigneulles où il résida jusqu’en 1946. Il pouvait y rendre de grands services dans l’administration de la revue La Croix sous les Palmiers et s’occuper intensivement du beau rucher que possédait la maison. Lorsque les Allemands expulsèrent les Pères de Vigneulles le 21 novembre 1940, le Père Reibel était absent. Il revint donc à Vigneulles et ne fut pas inquiété.

Au mois de mars 1946, il vint habiter la maison de Saint-Pierre. Il devait y demeurer jusqu’à sa mort, 42 ans plus tard, le 21 mai 1988, veille de la Pentecôte. Le Père Derr, Provincial de l’Est, a bien exprimé dans l’homélie du jour des obsèques ce que fut la vie du Père Reibel et lorsqu’il mentionne ses propres souvenirs il nous dit ce que furent spécialement les longues années que notre confrère passa à Saint-Pierre. On aimera retrouver ici les paroles du Provincial.

Dure épreuve pour ce jeune prêtre qui lui impose une activité pastorale et sacerdotale réduite : il ne peut plus prêcher, ni donner le sacrement du pardon dans les paroisses. Toute communication avec les autres devient difficile. Sa vie est changée : il servira modestement, selon ses possibilités, à la reliure, au rucher, en traduisant en allemand des articles pour notre revue missionnaire... Il continuera à rayonner l’Évangile autrement... Je fais partie de ces grands séminaristes qui ont été impressionnés par sa vaste culture et son esprit d’ouverture, ici à Saint-Pierre. Malgré les difficultés de nos échanges, le Père Lucien a su nous communiquer son amour de l’Église, son émerveillement pour certaines de ses grandes figures, tel le Cardinal Newman, il a su nous faire partager la grande espérance que suscitait en lui le Concile Vatican II. Cette culture patiemment acquise au gré de ses lectures, s’alliait chez lui à une foi limpide, une foi d’enfant. Je le revois encore, c’était il y a 2-3 ans, il me montrait avec émotion son chapelet en me faisant comprendre que la prière était devenue sa seule activité. Les larmes aux yeux, il me demandait alors de le bénir. Son infirmité l’avait profondément marqué, mais elle ne l’avait pas rendu amer. Son cœur avait gardé une fraîcheur remarquable : Je remercie le Seigneur, me confiait-il, parce qu’il m’a donné de bons et fidèles amis, il m’a permis de vivre de belles et solides amitiés.

Et en conclusion de son homélie, le Provincial ajoutait qu’une telle vie illustre bien la manière de Dieu : Dieu se sert des pauvres, des petits, des infirmes pour réaliser son œuvre, selon la leçon du Magnificat et des Béatitudes.

Jugée ainsi, la vie du Père Lucien Reibel fut une vie bien remplie et fructueuse. Lui, si isolé par sa maladie, ne fut pas enfermé sur lui-même car il allait volontiers à la rencontre des autres, comme il accueillait avec une particulière bienveillance ceux qui allaient chez lui. Là encore, sa conversation faisait du bien. On sentait que la paix était dans son cœur, avec la joie, celle qui est fruit de l’Esprit. En son âme confiante et sereine, il attendait son Seigneur, depuis si longtemps désiré.