Société des Missions Africaines – Province de Lyon
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né le 7 février 1933 à Nantes dans le diocèse de Nantes (France) membre de la SMA le 16 juillet 1956 prêtre le 6 janvier 1962 décédé le 6 septembre 2012 |
1962-1963 Lyon, année pastorale
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Le père Paul AUBRY (1933 - 2012)
Paul Aubry est né à Nantes en 1933 dans une famille nombreuse : ils étaient 6 garçons et 2 filles et le papa était représentant en engrais. A 13 ans, à la fin de ses études primaires, il va au collège Saint-Similien, à Nantes, puis, en 1950, il entre à Legé, au petit séminaire, comme vocation tardive. C'est de là qu'il fait sa demande d'entrer aux Missions Africaines en 1953, et il est admis à Chanly, au noviciat, cette même année. En donnant son appréciation sur le jeune Paul, et en écrivant en particulier que c'est un "excellent garçon, de haute valeur morale", le supérieur de Legé précise qu'il a eu des problèmes de santé au niveau des nerfs, mais "qu'il paraît parfaitement guéri". Il en gardera cependant toujours quelque chose : un petit tremblement de tête et une certaine difficulté d'élocution qu'il savait corriger en parlant lentement d'une voix très posée. Quant à ses parents, ils apprécient le choix de leur fils : "Nous apprécions, comme il se doit, le grand honneur de voir notre .fils aîné se diriger vers le sacerdoce et le croyons réellement bien dans sa voie" (03/09/53).
Après un peu plus d'une année en Allemagne (juillet 57-octobre 58), il fait la fin de son service militaire sur la côte oranaise, en Algérie, comme comptable dans la batterie (jusqu'en novembre 59). Son aumônier dira de lui : "Très bon gradé, serviable, beaucoup de personnalité et de ressources" (05/11/58). Lui-même écrit de son bled en Algérie : "Il me semble ne pas avoir eu de grosses difficultés à surmonter. Je me suis astreint un régime spirituel et intellectuel : chapelet, méditation, lecture spirituelle et profane d'une heure et demie par jour que je pense avoir tenu assez fidèlement." (16/09/59) Au moment de l'appel aux ordres, ses supérieurs mentionnent encore son point faible : "Il y a chez lui une fragilité nerveuse ; il a fait une grave crise en 1956-1957, […] , mais après l'armée semble avoir retrouvé un bon équilibre" (16/04/61). Ordonné prêtre au début de l'année 1962, il fait un année pastorale à Lyon, à la paroisse Notre-Dame de l'Assomption.
En 1963, il est nommé au diocèse de Daloa. Mgr Rouanet le nomme professeur au petit séminaire de Man, qui faisait partie de son diocèse à cette époque. Avec sa nomination, le provincial le note ainsi : "intelligence un peu lente, mais très méthodique, [...] à situer avec un supérieur qui le soutienne, ne le jette pas dans l'inconnu, s'intéresse à lui et à son travail" (02/07/63). Au bout de deux ans, il est nommé vicaire du père Mahy à Zouan-Hounien. Indépendant, ayant des idées pastorales qui ne cadraient pas trop bien avec celles de son curé, il prend en charge le sud de la paroisse, la sous-préfecture de Bin-Houyé, et plus particulièrement un village qu'il appela "Saint-Paul hors les murs". C'est là qu'il commença l'étude du peuple "dan" (yacouba), sa langue, ses coutumes et qu'il mit en place sa première communauté, avec ses divers responsables. Déjà en 1969, après une visite, un membre du Conseil provincial écrit : "Paul se débrouille assez bien en yacouba et pourrait donc se charger des sessions de catéchistes. Il a fini son missel yacouba et fait du bon travail ; [...] il voudrait faire une grammaire, un lexique. [...] Il s'occupe des villages, mais voudrait aussi faire constructions" (11/69).
C'est certainement à Danané qu'il va donner sa pleine mesure. Il y reste 11 ans, de 1972 à 1983 et aura successivement comme vicaire les pères Charles Chevalier et Joseph Moulian. Peu après son arrivée, Paul écrit : "Notre but est de créer des communautés pleinement responsables jusqu'à faire l'Eucharistie. […] .Nous aimerions seulement une petite parole de notre évêque: 'allez-y, cherchez, expérimentez, on verra après' ; ce petit mot n'est pas encore venu, Mais soyez rassurés, nous sommes patients et nous avons le moral. Avec Charles Chevalier, nous cherchons à faire équipe, et nous efforçons de travailler ensemble. Nous souhaiterions la présence d'un troisième père, à deux, c'est trop crevant" (31/10/74). Il possède bien maintenant la langue dan et ses traductions des textes bibliques, particulièrement ceux du Nouveau Testament sont d'un grand service pour les célébrations en langue. Un de ses soucis fut encore la formation des laïcs ; catéchistes, chefs de communauté, présidente des femmes, jeunes, tous sont passés par le centre de formation de Danané. "Je me souviens, écrit Joseph Moulian, d’une année où 44 sessions de formation d’une semaine ont été organisées pour les différents groupes, sur les 52 semaines que compte l’année. Tous ceux qui avaient quelques compétences ont été sollicités : les religieuses bien sûr, mais aussi les médecins de l’hôpital et des grandes endémies, des profs, car tous les groupes invités recevaient une part de formation humaine. Au bout de quelques années, nous nous sommes aperçus que les catéchistes, en particulier, au vu de leur formation, étaient sollicités par les villageois pour prendre des responsabilités à l’école du village ou à la coopérative ou encore dans d’autres structures sociales.
"Et puis il a eu très vite le souci de l’indépendance financière. Mieux vaut trouver des ressources sur place disait-il, plutôt que de passer les congés à chercher de l’argent. C’est ainsi que la mission a pris en gérance une station d’essence, que l’on vendait briques et claustras… Et lorsqu’il a fallu se séparer de la station, il a monté une librairie-papèterie dont les premiers bénéfices, au bout d’une année de fonctionnement, furent donnés à l’évêque pour le viaticum des prêtres (1.000.000 CFA). On a parfois reproché à Paul de ne pas aller dans ses villages : c’est faux ! Il connaissait bien sa paroisse et avec le travail accompli, il avait la confiance des catéchistes et des responsables de communauté. C’est vrai qu’il n’avait pas le style du broussard : il aimait son confort, sa petite chaine stéréo dans son pickup, ses petits voyages à Abidjan où il préférait le confort de l’accueil chez des amis plutôt que le campement du CAM. Tout cela n’a pas empêché les communautés de Danané et de Siably de progresser et de se prendre en charge. Lors de mon dernier voyage à Abidjan en janvier 2012, certaines personnes rencontrées m’ont encore parlé de lui."
Durant son congé de 1977, plusieurs lettres laissent supposer que quelque chose se serait passé à Danané. Il passe plusieurs mois à la Pierre-qui-Vire pour faire le point, d'abord sur lui- même, en profondeur ; il écrit qu'il redécouvre la prière, l'Eucharistie. "Je me suis remis en grâce devant le Seigneur, avec le désir vrai de me reprendre" (07/02/77). De plus, il hésite à retourner à Danané. Il demande conseil à droite et à gauche et finalement, il décide de retourner à Danané. En mars 1982, il fait le point sur la formation des responsables laïcs qui est l'un des points forts de sa pastorale. Il a 62 communautés sur la paroisse. Dans ce petit rapport, il parle de la formation, du financement, des sessions, des nouveaux, de l'avenir, des fiancés, et il conclut : "Depuis que la paroisse s'est lancée dans la formation, l'esprit a changé. Les responsables prennent conscience d'eux-mêmes et de leurs charges. Ils et elles sont heureux d'être hommes dans l'Eglise et si seulement, tels qu'ils sont et sans faire du cléricalisme, on songeait à des ministères pour eux dans l'Eglise, il y aurait des tas de réalités qui se vivent à mettre en place sans que cela pose des problèmes financiers aux évêques locaux" (03/82). Quelques mois plus tars, il écrit à son évêque pour lui dire qu'il est disponible pour une autre nomination après 11 ans de service à Danané.
Il est alors nommé à Siably où il va rester trois ans, et quand on lui demande de faire partie de l'équipe d'animation à Nantes, il répond: "Si tu crois que je réponds quelque peu au profil d'un animateur missionnaire à la Sencive, c'est d'accord pour 1986. [...] Je ne vois pas très clair dans ce qui m'attend. Je m'efforcerai de ne pas être trop bougnoule, et surtout de répondre du mieux qu'il me sera possible au service que vous attendez de moi. Après avoir fait de nombreux petits chrétiens, faire de grands missionnaires, quelle promo !" (22/02/85).
La première année, à Nantes, il est avec Claude Templé ; il est nommé, en principe pour 4 ans. Ernest Moulin rejoint l'équipe en octobre 1987. Au début, il doit surtout s'investir dans l'aumônerie des étudiants (un mi-temps) et être au service de l'animation missionnaire et vocationnelle. A bout de deux ans, il apprend que la DCC (Délégation Catholique à la Coopération) recherche quelqu'un pour participer aux différentes activités de l'organisme. Paul Aubry donne son accord, et il s'informe pour savoir exactement en quoi consistera son travail : ce sera surtout la formation des jeunes sur le départ. Pour cette nouvelle fonction, il quitte Nantes et s'installe à Paris, à la rue Crillon, et il garde un mi-temps pour l'aumônerie des étudiants africains.
En octobre 1988, il fait un long compte rendu après une réunion "week-end de retour" avec 45 jeunes qui viennent de rentrer après deux ans de séjour en coopération. "J'ai rencontré des jeunes de qualité qui ont fait une grande expérience de la relation, motivés, généreux. [...] J'ai senti que l'expérience de Nantes auprès des étudiants m'a beaucoup facilité le contact. Je n'étais pas paumé et ai parlé avec plusieurs en profondeur" (29/10/88). En tant que responsable de la communauté chrétienne des Africains à Paris, en mars 1989, il fait la demande de visiter les détenus en prison. Il est autorisé en juillet. Le 28 juin 1989, le nouveau Conseil provincial le renomme pour les trois points suivants: collaboration avec la DCC, animation de la communauté chrétienne des travailleurs africains à Paris (il sera libéré de cette tâche en septembre 1991), et responsable de Justice et Paix pour la Province.
L'évêque de Créteil le nomme aumônier de la prison de Fresnes le 30 août 1989, pour la troisième division ; Fresnes : 1400 prisonniers, dont 700 noirs et 500 autres étrangers. Puis, deux ans plus tard, il est nommé responsable de l'équipe des aumôniers de Fresnes. Soit à la DCC, soit à la prison, il aura un grand rayonnement : le père Joseph Hardy, responsable alors de la DCC, témoigne : "Dans l'équipe que j'animais, Paul a été régulier, compétent et dynamique dans son travail de prospection et d'accompagnement des coopérants. Son tempérament de solitaire ne l'empêchait pas d'être très proche des jeunes et des partenaires auxquels il les envoyait. A la fin des stages de préparation au départ, au moment de la présentation des groupes, de l'envoi et de la séparation, je me souviens du "triomphe" sympathique qui était fait par son groupe à "Paulo". Il n'oubliait jamais de donner son témoignage sur les prisonniers de Fresnes, ceux dont il s'était senti l'ami et le frère, presque instinctivement. Sous des dehors parfois taciturnes, il avait sa manière bien à lui de se faire proche et solidaire."
La lettre de l'évêque de Créteil, lorsqu'il apprend que Paul va rejoindre l'Afrique, apporte le même regret de le voir partir : "J'ai appris que la décision était prise maintenant définitivement de votre départ en Afrique. J'en suis tout triste. Nous sommes tellement heureux de votre collaboration et je vous sens vous-même tellement à l'aise dans votre ministère. Je sais que les prisonniers vous aiment beaucoup et que vous avez beaucoup fait depuis votre présence à Fresnes pour faciliter la vie d'équipe au sein de l'aumônerie" (01/02/96). Il répond: "Père, merci. Ce n'est pas sans pincement de cœur que je quitterai ce lieu de vie particulièrement intense, et que j'aime. […] Vous me donnez de grandir mon regard d'amour, sur l'homme, sur la vie, sur le monde, sur Dieu, sur l'Eglise aussi. Quand je frappe à la porte d'une cellule, je me dis 'compagnon d'humanité. [...] Vous me donnez de porter, de partager, de vivre, d'aimer ce regard d'humanité, ce regard d'amour sur l'homme, la vie, le monde, sur Dieu, sur l'Eglise" (05/01/96).
Il est nommé à Bélemboké, en Centrafrique en 1996, mais avant de partir, il doit être opéré d'un anévrisme de l'aorte abdominale. Tout se passe bien. Il rejoint le diocèse de Berberati au début de l'année 1997. Le Conseil provincial lui donne la mission suivante : "Tu auras pour objectif d'être un soutien et une aide pour les jeunes confrères des Fondations" (09/05/96). Il va passer de la prison de Fresnes aux Pygmées en gardant le même regard très positif sur l'homme : "Les Pygmées ont besoin d'être aimés et reconnus comme personnes à part entière. Il faut leur donner confiance en eux-mêmes : respect, dignité, fierté. Il faut les inciter aux soins, à l'instruction, à faire leurs plantations. La religion est le moteur du développement : la foi les sauvera, leur donnera un idéal" (30/12/97). Il s'investit vite dans la langue. Il sait s'émerveiller devant des faits de vie (la vie chrétienne, la vie de tous les jours) qu'il sait décrire à sa manière (il devait sourire en écrivant ces lignes) : "Le jour de Pâques, je célébrais ma première en sango à Bélemboké, avec homélie en sango. Très franchement, je suis fier, très, très fier de moi, de ma réussite, de mes compétences, de mes capacités, de mon courage, de ma persévérance dans l'effort, de la maîtrise de mes peurs et émotions. Devant la communauté chrétienne et mes confrères, j'ai marqué de gros points... d'étonnement, de stupéfaction, d'admiration ! Je suis un homme félicité. La note que je me donne: 18/20. [...] Me voici désormais plus opérationnel, plus performant. Reste maintenant à parler couramment le langage des vieux et des femmes surtout qui parlent tellement vite !" (18/04/98).
Il rentre malade en juillet 2001, et se repose pratiquement deux mois à Montferrier. "Après 7 semaines passées à la maison de retraite de Montferrier, je me sens bien et, je le pense, guéri." Au début de 2002, il est alors nommé à la communauté de Rezé pour prendre la charge de comptable. Pour cela, il suit au 150 la session d'initiation à l'informatique organisée par la Province. Il semble si peu doué que le responsable de la session pense qu'il n'y arrivera jamais. Il suit une seconde session organisée à Rezé et, grâce à son acharnement à faire des réussites aux cartes sur l'ordinateur de la maison, il arrive à maîtriser l'appareil et se révèle très compétent pour établir les comptes de la maison sur ordinateur. Le jour où il a une adresse électronique, il envoie un mail à plusieurs confrères avec ces seuls mots écrits en gros caractères: "Je suis un internaute !" La fierté de la réussite !
A Montferrier depuis le début 2009, il était resté lui-même, calme, parlant toujours de la même voix basse, lente et mesurée ; il avait toujours ce petit balancement de la tête, souvenir de ses problèmes nerveux d'autrefois. La vie de retraité n'était pas pour lui déplaire et il était parfaitement intégré dans le groupe des confrères de la maison. Il passait de longs moments devant son ordinateur à faire des réussites aux cartes. "Cela entretient les neurones du cerveau", disait-il, comme pour s'excuser. Sa santé ne paraissait pas lui poser de problème. Lors d'un dernier contrôle médical, un anévrisme de l'aorte a été décelé, mais sans pour cela, semble-t-il, inquiéter outre mesure les médecins. Une opération a été décidée. Paul a donc été conduit à l'hôpital et a dû subir quelques nouveaux contrôles plus approfondis pour préparer l'opération. L'anévrisme n'a pas attendu et l'aorte a éclaté entrainant une mort immédiate pratiquement la veille du jour prévu pour l'opération. Son décès a pris de court les équipes médicales et surpris tous ses confrères. Quelques-uns des membres de sa famille avaient fait le long déplacement depuis la Bretagne pour l'accompagner jusqu'à sa dernière demeure.
Qu'il repose désormais dans la paix.
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