Société des Missions Africaines - Province de Lyon
Le Père Alphonse Allirand
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né le 4 décembre 1925 à Moudeyres dans le diocèse du Puy-en-Velay membre de la SMA le 27 décembre 1947 prêtre le 12 février 1951 décédé le 12 décembre 2012 |
1951-1953Dimbokro (Yamoussoukro) vicaire 1953-1956M'Batto (Yamoussoukro) responsable 1956-1957Chanly 1957-1974M'Batto (Yamoussoukro) responsable 1974-1986Tiémélékro (Yamoussoukro), responsable 1986-1987Lyon 150, année sabbatique 1987-1988Rezé, responsable 1988-2003Bouaké cathédrale, vicaire chargé de la chapelle St Joseph Mukasa 2004Chamalières 2005-2012Montferrier, retiré décédé à l'hôpital de Montpellier le 12 décembre 2012, à l’âge de 87 ans |
Le père Alphonse ALLIRAND (1925 - 2012)
Les pauvres et les petits ont perdu un grand ami ; tous les témoignages sont unanimes. C'est ce qu'il faudrait dire, avant tout, s'il fallait résumer en trois mots ce que fut la vie de notre confrère Alphonse Allirand.
Après ses études primaires à Freycenet-Latour, il entre à Chamalières en 1935, puis va à Pont-Rousseau terminer ses études secondaires et obtient la première partie du baccalauréat. Après deux années de noviciat à Chanly, il rentre directement à Lyon pour la théologie - étant de la classe 45, il n'a pas été appelé pour le service militaire - et il est ordonné prêtre en février 1951. Durant toutes ses années d'études, les jugements de ses supérieurs sont extrêmement positifs. Au moment de l'envoyer en Afrique, comme il fait pour chaque confrère, le Conseil provincial note : "Jeune prêtre bien équilibré, consciencieux ; sans avoir l'air de se presser, se donne à son travail avec ténacité et méthode. Bien surnaturel, ce n'est pourtant pas un mystique ; semble fait pour l'action. […] A le goût de la précision et de l'ordre." (07/07/51)
"Le Conseil provincial vous a désigné pour la Côte d'Ivoire, où vous êtes mis à la disposition de S. Ex Mgr Boivin, vicaire apostolique d'Abidjan." (21/06/51) A partir de ce jour, la Côte d'Ivoire va devenir son pays d'adoption et il va y passer pratiquement 50 ans. Il commence à être vicaire à Dimbokro, aujourd'hui dans le diocèse de Yamoussoukro et, trois ans plus tard, il est envoyé à la mission de M'Batto qui vient d'être fondée. Lors de son congé en 1956, il a la mauvaise surprise de recevoir une lettre du Conseil provincial : "Dans sa réunion de ce jour, le Conseil provincial a décidé de faire appel à votre dévouement et à votre première expérience des missions pour collaborer à la formation des séminaristes de la maison de probation. Vous êtes nommé "socius" du R.P. supérieur de Chanly." (23/06/56) Il n'y a même aucune explication du sens donné à ce mot "socius". Cependant le père répond : "Je me sais incapable et bien mal préparé pour ce rôle et cette vie sédentaire d'intellectuel qui m'attend à Chanly est tout à fait contraire à mon tempérament. […] Je prie le Seigneur de hâter le plus possible mon retour en Afrique." (07/08/56) Heureusement pour lui, dès l'année suivante, il peut retrouver la mission de M'Batto où il va travailler pendant 17 ans de suite.
Il a fort à faire, car la mission est toute jeune et au début il est seul. Il y a l'organisation, les constructions, les catéchismes, les écoles, le catéchuménat, les visites dans les villages et tout ce qu'on peut imaginer comme travail dans une mission à ses débuts. Quelques années plus tard, il aura le jeune père René Hoc comme vicaire, avec qui il fera une très bonne équipe ; il était d'ailleurs difficile de ne pas s'entendre avec lui et de jeunes confrères du diocèse venaient volontiers et régulièrement le visiter pour chercher des conseils auprès de lui. L'un d'entre eux témoigne : "Il se montrait toujours ferme, et moi je trouvais qu'il était parfois d'une sagesse un peu trop prudente, mais je l'écoutais toujours." En 1970, il obtient de faire les trois mois de recyclage à l'Arbresle à la fin de l'année : il veut se tenir au courant de ce qui se fait en France : "J'aimerais pouvoir assister à des exposés sur des sujets théologiques qui m'intéressent. Et aussi, je voudrais pouvoir me recycler au point de vue pastoral en ayant contact avec une ou des paroisses bien organisées de ville. Je sais bien que tout ne sera pas à transposer ici, mais au moins j'aurai une idée de la pastorale moderne." Il ajoute un peu plus avant dans la lettre : "Ce ne sont là que des désirs, et je me plierai volontiers aux nécessités du moment et de l'organisation commune pour le recyclage prévue pour les confrères." (07/01/70)
Le Conseil lui demande alors de passer une année entière en France et de "succéder au père Ranchin pendant une année scolaire, pour vivre avec les universitaires séminaristes et jeunes prêtres et poursuivre ainsi son recyclage." (18/02/70) Il tarde à envoyer sa réponse, car "ma réflexion est lente comme celle d'un paysan." (07/04/70) Il accepte de rester, mais finalement les choses s'arrangent autrement et il pourra repartir. Pendant ce congé, il remplace pendant un temps l'aumônier de l'hôpital de Sainte-Foy et aide aussi le père Jean-Marie Favier qui a la charge de plusieurs paroisses en Haute-Loire. Avec joie, il retrouve la Côte d'Ivoire, toujours à M'Batto, mais il va de plus en plus souvent à Tiémélékro, une de ses stations secondaires, laissant le père Hoc au centre, à M'Batto, en attendant que son évêque veuille bien y fonder une nouvelle paroisse, ce qui se fait en 1974. Il y construit une mission, avec une citerne, une maison pour les sœurs : "J'achève la maison qui accueillera trois religieuses espagnoles des sœurs de la charité de sainte Anne de Saragosse." (30/08/76) Devant les résultats catastrophiques de l’école aux examens, il prend la décision bien arrêtée de reprendre en main la classe du CMI-CM2, tout en espérant achever la construction d’une école de 6 classes et agrandir la mission. Pour mener à bien sa vie de pasteur et d’instituteur, Alphonse se donne un régime spartiate. Dès 5 heures, il est dans les villages voisins. Les gens apprécient ces messes matinales qui leur permettent d’aller au champ et de vaquer à leurs occupations. Les dimanches et jeudis sont réservés aux villages éloignés.
Il écrit rarement pour donner des nouvelles, mais il est fidèle à remercier les membres du Conseil lorsqu'il reçoit une carte à l'occasion de sa fête. "A travers vous, je dis merci à la Société des Missions Africaines qui me permet de vivre l'appel de Dieu dans la joie et l'action de grâces." (03/08/82) Il vivra particulièrement cette joie et cette action de grâces lorsque des vocations naîtront sur sa paroisse : en 1983, c'est l’ordination du 1er prêtre originaire de Tiémélékro, l’abbé Kadjane Aman David ; en 1984, c'est une fille de la paroisse qui fait sa profession de religieuse chez les sœurs NDA : Hélène Affia ; en 1986, c'est l'ordination du second prêtre de la paroisse, l’abbé Joseph Kpin. Il a suivi de très près également la formation sacerdotale du père Abou Yépié Hervé, jeune sma ordonné en 2004, aujourd'hui supérieur de la maison de Tenafly, aux USA.
Il est seul à la mission, mais il accepte de recevoir en stage un grand séminariste, ce qui lui permet d'écrire : "Je jouis d'une bonne santé et les petits problèmes quotidiens n'atteignent pas le moral qui est solide. […] Certes ma préférence va plutôt vers la solitude, mais je crois qu'il m'est salutaire d'accepter ce partage qui m'oblige à sortir de mon égoïsme naturel." (01/08/81) Son évêque est d'accord pour qu'il prenne une année de recul : il fait alors une année de recyclage à Lyon en 86-87, et en février déjà, le Conseil lui propose de prendre la direction de la maison de Rezé. Il va voir le supérieur de la maison pour s'informer sur le travail qu'on lui demande et il répond au Conseil : "Si je suis libre de répondre non à votre proposition, ma réponse est non ! […] mais je peux me tromper dans ma façon de voir les choses ; alors vous parlez en supérieurs, et dans ce cas j'obéis." (28/03/87) Il est nommé pour trois ans et peut effectuer auparavant un voyage en Côte d'Ivoire pour mettre en ordre ses affaires ; mais, dès l'année suivante, il est autorisé à rejoindre la Côte d'Ivoire. "Merci de me rendre à l'Afrique et merci aussi de cette expérience de Rezé qui je redoutais un peu, en plus du sacrifice que cela m'imposait. Cela été une bonne expérience." (07/06/88)
Comme il l'avait souhaité auprès de son évêque, il est maintenant en second, nommé vicaire à la cathédrale de Bouaké, et plus spécialement chargé de la chapelle Saint-Joseph Mukasa. C'est à un travail de pionnier auquel il doit faire face : "L'apostolat dans les quartiers pauvres de Bouaké et les villages est vraiment un travail de première évangélisation. Il est exaltant. Il faudrait seulement avoir vingt ans de moins." (01/08/89) "Dans les villages autour de Bouaké, il faut se contenter de labourer et de semer sans se décourager et de tout confier à celui qui donne la croissance." (28/07/93) "Dans la chapelle dont je suis desservant, 88 baptêmes. [...] Mais dans la dizaine des petits villages de la savane que je visite, le nombre des premiers baptisés, après 5 ou 6 ans de visites, ne dépassera pas la quinzaine." (05/04/96) En ville, il se réjouit du travail réalisé grâce au Renouveau charismatique : "C'est un merveilleux apostolat d'évangélisation et de nouvelle évangélisation pour beaucoup de baptisés qui se sont éloignés du Christ. [...] L'esprit Saint est à l'œuvre dans nos communautés. C'est un temps de grâce que nous vivons." (04/08/99) Un temps de grâce, oui !, mais avec des jours sombres, par exemple le 26 septembre 2000, jour où l'église de Saint-Joseph Mukasa est détruite en partie par des rebelles. Sa foi lui permet d'écrire : "Nous sommes heureux d'avoir souffert et nous souhaitons le relèvement du pays. […] Les épreuves sont parfois un coup de fouet et je peux dire que bien loin de m'abattre, elles m'ont réveillé et rapproché du Seigneur en qui tout prend un sens." (31/10/00)
Il faut encore citer deux lettres écrites durant cette période et qui permettent, au mieux, de décrire l'homme et ce que fut sa vie. Il a 75 ans lorsqu'il écrit : "Dans l'ensemble, ça va et j'aimerais rester encore ici tant que je peux rendre quelques services : présence à l'association Saint-Camille ; Grégoire ne veut pas que je rentre définitivement ; présence aussi à la communauté de la cathédrale où l'entente avec les abbés est excellente et service dans la desserte Saint Joseph Mukasa. Je suis pleinement heureux de pouvoir servir petitement : le père prieur du monastère me demande d'être le confesseur de leur communauté monastique deux fois par mois. Des jeunes trouvant difficilement des prêtres disponibles s'adressent à moi pour la confession. Cela convient au vétéran que je suis. J'essaye de me rendre disponible." (12/04/00) L'année suivante, il fête son jubilé d'or sacerdotal : à cette occasion, il écrit : "C'est l'année de mon 50e anniversaire d'ordination. [...] J'ai été un missionnaire heureux et plus j'avance, plus je le dis: je suis un prêtre comblé. J'ose le dire après notre fondateur, tous les gens que j'ai connus à M'Batto, à Tiémélékro, je les ai aimés et j'ai reçu d'eux beaucoup d'amour. Tous ceux dont je suis le prêtre, [... ] je les aime. Ils ont été pour moi et ils sont des pères, des mères, des frères, des sœurs, des enfants. C'est ma famille. [...] Ca ne fait pas original de parler ainsi. Pour être intéressant, il faut étaler ses problèmes, ses difficultés. J'en ai aussi eu ma part, mais je ne les sens pas. [...] C'est le piment de la vie, et j'aime le piment." (01/01/01)
Pour le père Alphonse, les 15 années qu'il a passées à Bouaké sont marquées sa collaboration avec Grégoire dont il a suivi les débuts, accompagné le développement de l'association Saint-Camille et favorisé les initiatives ; il a été le témoin privilégié du cheminement de ce béninois installé à Bouaké, d'abord avec son groupe de prière qui visitait les malades non seulement pour prier avec eux, mais aussi pour faire soigner les plus pauvres, puis lorsqu'il entreprit la visite de la prison et qu'il se mit en demeure d'apporter aux prisonniers une vie plus décente, non seulement en leur procurant de la nourriture, mais en entreprenant aussi de réhabiliter les sanitaires. Enfin, lorsque Grégoire se pencha sur les malades mentaux qui traînaient en ville, ou qui passaient leur vie attachés à des bois et nus, à la limite des villages, et commença à construire des centres pour leur apporter une vie décente, la présence du père lui était précieuse. On le verra souvent avec Grégoire pour soigner les malades, pour leur partager la nourriture, pour aller les chercher dans des villages. Il était bien quelquefois inquiet devant les audaces de Grégoire - jamais je n'aurais osé faire ce qu'il fait - , mais il restait émerveillé devant la foi de cet homme et sa confiance en un Dieu Providence qui veille sur les pauvres. Sur la demande pressante de Grégoire, il se rend au Bénin pour l'inauguration du premier centre Saint-Camille pour les malades mentaux, mais il n'ose pas lui parler de son retour définitif en France.
Au moment de quitter la Côte d'Ivoire, il écrit une réflexion de deux pages sur le thème suivant: "partir n'est pas mourir" : "Le missionnaire qui après une longue vie au milieu d'un peuple devenu sa famille doit se retirer ressent douloureusement ce départ définitif. C'est un nouvel appel à tout quitter que le Christ nous adresse, comme le premier appel à quitter sa famille. [... ] Laissant tout derrière soi, il faut le suivre jusqu'au bout, car il est la vraie vie et, en le trouvant, on trouve tout ce qu'on a quitté et au centuple."
Il passe une année à Chamalières, avant de se retirer à Montferrier, à la maison de retraite. Comme toujours, il reste très fidèle à envoyer une petite lettre au Conseil provincial pour le remercier des vœux de fête et donner quelques nouvelles. On sent qu'il est heureux. Tout se passe bien, tranquillement, jusqu'au jour où les médecins constatent qu'il est atteint d'un anévrisme abdominal : ils laissent alors le père devant le choix, pratiquer une opération lourde sans garantie de succès ou laisser le mal progresser. C'est cette seconde alternative que choisit le père Alphonse. Récemment, il avait demandé à recevoir le sacrement des malades, et déjà en septembre, sur l'insistance d'une de ses nièces venue le visiter, il avait accepté d'être enterré dans le caveau familial. Dans la nuit du 11 au 12 décembre, il a appelé le service de garde qui l'a fait conduire d'urgence à l'hôpital où il allait décéder dans la matinée. Le samedi 14, une messe a été célébrée à la maison de retraite, puis le corps a été transporté à Freycenet-Latour où se fit l'inhumation.
Pour dire qu'un homme est bon, les Baoulé disent que son ventre est blanc. C'est ainsi qu'était le père Allirand, homme juste et droit, qui n'a qu'une parole, qui sait écouter et conseiller, qui apporte la paix, qui ne sait pas dire du mal de quelqu'un.
Bernard Favier, sma
Reçu de Grégoire après l'annonce du décès du père Alphonse
[…] Je rends grâce à Dieu pour ce qu'il a été pour moi-même et pour les malades depuis son arrivée à Bouaké en 1988. Il me revient le souvenir des nuits partagées à distribuer des repas aux malades dans les rues. Il lui arrivait même d'y aller seul lorsque j'étais absent.
Plusieurs fois, nous sommes allés ensemble dans les villages pour libérer les malades enchaînés ou retenus dans les bois. Que de larmes a-t-il versé à chaque libération de malade. Il a toujours été à mes côtés dans les moments difficiles. C'est grâce à son intuition que je suis parti ouvrir les Centres du Bénin. Il a tenu à être présent à l'inauguration du premier Centre au Bénin. Même à la retraite, il continuait à porter le souci des malades et des pauvres qu'il a tant aimés et servies en Côte d'Ivoire.
Mon Père Allirand, je me réjouis à l'idée que tous les malades abandonnés et recueillis par la Saint-Camille, tous ensemble avec la Vierge Marie se sont réjouis d'entendre Jésus te dire: : "Viens le Béni de mon Père, car j'ai eu faim et tu m'as donné à manger, j'ai eu soif ,'étais nu, malade, abandonné, en prison… et tu t'es occupé de moi !"
Père Allirand, c'est maintenant pour toi le début de ta nouvelle mission. Comme je te l'ai dit souvent : "Tu n'es pas parti au ciel pour dormir" !
Ton fils, ton ami, Grégoire uni à tous les malades te disent ADIEU !
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