Société des Missions Africaines – Province de Lyon
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né le 13 juin 1923 à Saint-Jacut les Pins dans le diocèse de Vannes membre de la SMA le 2 décembre 1944 prêtre le 31 octobre 1948 décédé le 6 mars 2010 |
1949-1969 Boukombé (Natitingou), curé 1969-1997 Koussoukouangou (Natitingou), curé décédé à Montferrier-sur-Lez, le 6 mars 2010, |
Le père Ange MABON (1923 - 2010)
Il est né à Saint-Jacut les Pins, une petite commune du Morbihan, dans le diocèse de Vannes, pas très loin de la mer, le 10 juin 1923. Ses parents sont cultivateurs. Comme son frère et sa sœur, il fréquente d'abord l'école primaire de Saint-Jacut, puis il rentre à Pont-Rousseau dès le début de ses études secondaires. Nous sommes en 1935 ; Ange a alors 12 ans. Il ne se fera pas remarquer de façon particulière durant sa scolarité : on note à son sujet qu'il est franc, liant, dévoué, aimable, doué d'une constitution robuste. En 1942, il échoue à la première partie du baccalauréat. Il rejoint alors la maison de Martigné-Ferchaud pour la philosophie et le noviciat et, au bout de deux ans, il fait son premier serment dans la Société des Missions Africaines en décembre 1944. La guerre n'est pas terminée : il fait son service militaire dans l'aviation, durant l'année 1945, une partie en France, à Vitré puis à Marseille, et une autre partie en Algérie à Mouzaiaville. A son retour en France, tout normalement, il va à Lyon pour ses études de théologie et est ordonné prêtre au début de sa quatrième année, le 10 octobre 1948. Il doit subir l'ablation du ménisque gauche en 1949. Mais il est suffisamment remis des suites de son opération pour que ses supérieurs l'envoient, dès la fin de son séminaire, au nord du Dahomey : "Le Conseil provincial vous a désigné pour la préfecture apostolique de Parakou dirigée par Monseigneur Faroud". Il s'embarque en novembre 1949 ; il rentrera définitivement en décembre 1997 : 48 ans sur la brèche !
A l'époque, la préfecture de Parakou couvrait plus de la moitié nord du pays ; aujourd'hui, c'est le territoire de cinq diocèses. Le père Mabon est envoyé à Boukombé, station très proche de la frontière du Togo, en plein pays somba célèbre par ses habitations en forme de petits châteaux forts. Cette station était fondée depuis peu par le père Roger Collin, mais il ne s'y plaisait pas. Il part d'ailleurs en congé six mois après l'arrivée du père Mabon et ne revient pas, aussi le père Mabon peut-il être considéré comme le véritable fondateur de la mission. Il va y rester 20 ans. Les 27 années suivantes, il va les passer à Koussoukouangou, à une quinzaine de kilomètres sur la route de Natitingou. Au début, c'était une station secondaire de Boukombé ; le père aimait bien s'y rendre : il fondera ici une nouvelle mission dans un cadre merveilleux. Il est donc le véritable apôtre du secteur. On ne peut dissocier ces deux périodes dans la vie du père : ce sont les mêmes populations, les mêmes problèmes d'une mission à ses débuts, les mêmes difficultés de tous ordres. Mais le père reste le même, jeune toujours, dynamique comme pas un, ardent au travail, passionné par la mission, aimant profondément les Sombas, un homme totalement dévoué, un prêtre animé par une foi sans faille.
En 1949, pour la Mission, c'est encore l'époque des pionniers : le préfet apostolique réside fort loin, les conditions matérielles sont difficiles : le vélo est le seul moyen de locomotion et les distances sont grandes sur des pistes qui en méritent à peine le nom ; chaque mardi, c'est à vélo qu'il faisait, aller et retour, les 50 kilomètres qui le séparaient de Natitingou pour aller y faire ses courses ! Les habitations sont en terre et couvertes en paille ; bien sûr pas d'eau courante, pas d'électricité, pas de frigo ; il avait pour lui une grande case en terre qui servait de chapelle le dimanche, de classe pendant la semaine, et il avait fait par le milieu une sorte de cloison derrière laquelle il était chez lui avec un lit, une table et quelques chaises et des trous dans le mur pour laisser passer la lumière ; comme nourriture, il faut se contenter des produits de la région, la boule de mil et l'igname, et de la viande de chasse. Les chrétiens ? au début il n'y a guère que quelques fonctionnaires venus du sud ; il est seul, mais il est heureux et il a plein de projets.
Par quoi commencer ? Construire des écoles ? mais les enfants n'avaient pas envie d'y aller et les parents ne tenaient pas à les y envoyer. On raconte que, au début, deux semaines après la rentrée, l'école était vide, tous les enfants s'étant enfuis ! Construire un logement, un église. Faire venir des religieuses pour s'occuper de l'éducation des jeunes filles et des femmes. Etre attentif aux malades et aux pauvres dans le besoin. Ouvrir de petites routes pour rendre les villages plus accessibles et faciliter les communications. Apprendre la langue, le ditamari qu'il parlait couramment, pour se faire accepter partout. Etre un témoin joyeux de sa foi, en étant bon, accueillant, ouvert à tous. Il écrit un an après son arrivée : "Une mission chez les Sombas est certainement une place de choix. […] Ce sont sûrement des pays d'avenir. Actuellement, nous avons 11 chrétiens, 2 stations secondaires qui marchent et 3 autres qui vont fonctionner sous peu si nous trouvons des catéchistes. […] La vie est belle, et ceux qui craignent de ne plus trouver de brousse en arrivant en Afrique peuvent se rassurer. Il y a encore du travail missionnaire à faire et il y en aura longtemps encore." (Pâques 1950)
Très attentif aux problèmes des gens, en particulier des jeunes, il décida très vite d'améliorer leurs conditions de vie. Lui, fils de cultivateur, il eut vite fait de repérer des bas-fonds où il y avait des terrains en friche : il fallait les utiliser, car, en fin de saison sèche, la soudure était parfois bien difficile. Il se lança alors dans la culture attelée : dressage de bœufs, achat de charrues rudimentaires et formation directe sur place. Il organisa des groupes de jeunes, leur fournit des attelages qu'ils devaient rembourser en plusieurs années, pouvant ainsi acheter d'autres bêtes qu'il confiait à d'autres jeunes. Les agronomes belges venus à Boukombé pour le développement des cultures étaient ses amis. Ils travaillaient ensemble. Bientôt Boukombé fut couvert de canaux creusés selon les courbes de niveau pour retenir l'eau de pluie dans les pentes. Les bas-fonds furent cultivés de riz, nouveauté pour la région : les étudiants avaient ainsi quelques ressources et gardaient un contact avec la terre ; et les gens non seulement pouvaient tenir plus facilement jusqu'à la saison des pluies, mais faisaient même quelques bénéfices en vendant une partie de leur récolte.
Il avait fondé une coopérative agricole : Copainville, c'était le nom donné à la réunion de quelques jeunes du village pour une entraide agricole. C'est vrai que, par ses origines, le père Mabon avait une grande expérience des cultures et des paysans. Il voulait que chaque Somba devienne responsable de son travail et qu'il en vive. C'était son obsession. A Koussoukouangou, avec l'aide des Frères des campagnes, il développera aussi la culture de la pomme de terre et la création de jardins dans les bas-fonds pendant la saison sèche.
Quand on lui parlait de ministère, il était plein de confiance. "Ça viendra", disait-il. En arrivant, il trouve 11 chrétiens, des employés de l'administration, des infirmiers, mais personne de la région. Puis, il y eut des catéchistes, les vrais apôtres des villages, sans lesquels le père est impuissant. Il faut au moins parler de Gabriel N'Deta, catéchiste à Koutayagou, tout comme sa femme Catherine. Après le décès de cette dernière, il sera ordonné prêtre par Monseigneur Redois, en présence de ses propres enfants. Aujourd'hui bien diminué physiquement, il est toujours sur place, admirant certainement la longueur du chemin parcouru depuis le jour de sa première rencontre avec le père Mabon. Après les catéchistes, il y eut les écoliers. Aux environs de 1960, les premiers élèves des écoles de la mission arrivent en fin de scolarité. Certains vont continuer leurs études dans le secondaire, mais le plus grand nombre doit rester au village. C'est le moment où vont démarrer, grâce à eux, quelques groupes de JAC dont la paroisse va profiter. Après les écoliers, il faut parler des séminaristes. N'est-ce pas là un signe de la Providence que, 50 ans après la fondation de la paroisse, à partir des 11 chrétiens du début, il y ait aujourd'hui un évêque et 11 prêtres issus de cette paroisse, douze en tout, comme les apôtres…
Il faudrait relire en entier les deux pages écrites par Mgr Pascal N'Koué, évêque de Natitingou, à l'occasion des 50 ans de sacerdoce du père Mabon : "C'est le père qui m'a donné le nom de Pascal, parce que je suis né pendant qu'il célébrait la vigile pascale. C'était le 29 mars 1959. Un mois plus tard, je recevais le baptême de lui. Ange est donc celui qui m'a engendré à la vie divine. C'est inouï, j'en suis fier et j'en rends grâce à Dieu. […] Ange est un être exquis, fin, plein de bonne humeur. Sa sympathie contagieuse est un puissant aimant qui lui attire beaucoup d'amis, petits et grands. Il aimait notre terre comme sa propre terre. Sa bonté et sa générosité sont devenues proverbiales chez nous. Il donnait sans compter le peu qu'il avait. […] On aimait sa compagnie. On savait qu'on serait bien accueilli chez lui. On ne l'entendait jamais se plaindre ni se lamenter. […] Les écoles ont toujours été son grand souci. Il avait compris que le développement ne se fait pas avec un peuple ignare. […] Pour terminer, je voudrais souligner que le père Ange est l'un des rares missionnaires à avoir fait l'effort d'apprendre le ditamari. Il connaît nos traditions et nos coutumes ancestrales. Il est une bibliothèque vivante de notre patrimoine."
Respect des coutumes : oui, en voici deux exemples : Les Sombas étaient nus. Le grand mérite du père Mabon a été de les prendre comme ils étaient. Il a commencé les écoles, puis le catéchisme, puis les messes, sans prêcher le vêtement. Eux, ils étaient fiers de leur nudité et se moquaient bien des gens habillés. C'est petit à petit qu'ils ont choisi de prendre un vêtement. Il a également vite saisi l'importance des fêtes coutumières, où, bien sûr, là aussi la nudité était de rigueur : il avait en effet compris le rôle social de ces fêtes et n'a jamais empêché les baptisés d'y participer, même s'il émet quelques réserves lors des cérémonies d'initiation. Même mieux, il avait passé un accord avec les féticheurs pour y venir lui-même avec ses baptisés. Si bien que Mgr Redois, après 1964, y envoyait ses séminaristes. Aujourd'hui, on parle d'inculturation ; le père Mabon l'a pratiquée avant même d'en parler !
"Il y a 28 ans que je vis au Bénin et j'ai pensé que ce ne serait peut-être pas un luxe de prendre un peu de recul et de consacrer quelques semaines à la réflexion et à la prière. Je n'ai rien de bien précis en vue ; je vous demande tuyaux et suggestions." écrit-il au Conseil provincial en janvier 1977. Le Conseil lui propose même une année entière de recyclage, mais il trouve que c'est trop. Finalement, il fera la session de Mortain : deux mois de recyclage chez les Pères Spiritains. Ils seront trois confrères à cette session qu'il trouve sympathique. A son retour, il atterrit à Abidjan où il rejoint une 2CV qu'il vient d'expédier par bateau. "Il a fallu faire de nombreux bureaux et collectionner un nombre impressionnant de signatures et de cachets pour sortir la voiture du port. En 3 jours, ensuite, il rejoint le Bénin. Spécialiste des crevaisons à cause de la mauvaise qualité des pistes de la région, cassantes, cahoteuses, caillouteuses, on raconte que, lors d'une de ses tournées, il s'arrête chez un confrère qui loue sa prudence en voyant trois roues de secours encombrer l'arrière de sa 2CV. "Ah ! Ah ! dit le père en riant, elles sont toutes les trois crevées." Il était réputé aussi pour ses nombreuses pannes d'essence, au moins au début. C'est certainement aussi le mauvais état des pistes qui va lui valoir un décollement de la rétine, cela ajouté au fait qu'il sortait toujours sans chapeau et sans lunettes de soleil.
Pendant son congé en France, en 1990 il a plusieurs interventions à l'œil : "On me prêche la patience, mais ce n'est pas facile. Les 25 m² de ma chambre et les quelque 100 m de couloir, c'est bien peu pour se fatiguer, et quand on lit difficilement, ça n'arrange rien. Dernière minute : Je repasse une troisième fois sur la table d'opération. […] J'accueille la nouvelle sans trop de surprise, car je m'y attendais depuis quelques jours." (29/11/90) Il y perdra un œil et terminera sa vie pratiquement aveugle. Mais il ne peut abandonner ainsi l'Atacora. il faut qu'il y revienne et reprenne ses activités. En avril 1993, on fête ses 70 ans. "La messe réunissait autour de l'autel les 5 prêtres originaires de Boukombé (à l'exception de Pascal N'Koué qui communiait de cœur depuis Rome), et le père Ramin lui-même, sous les yeux attentifs de deux religieuses et de deux séminaristes. Le Père n'a pas caché sa joie de se voir entouré de prêtres autochtones qui sont le fruit de son labeur. […] Rappelons-nous que le père Mabon travaille d'arrache-pied dans ce secteur depuis plus de 40 ans, dont 20 à Boukombé centre et bientôt 23 à Koussou. […] Et dire que le père tient encore debout et que son physique ne répond en rien à celui d'un septuagénaire. Vu le travail réalisé avec ardeur, le père Mabon mérite plus que tout autre la paternité de l'évangélisation de cette région à nos yeux, et n'en doutons pas, aux yeux de Dieu aussi." (Jean-Paul Mangopa)
Quelle honte aussi pour tous les habitants de l'Atakora, quand ils apprennent que l'un des leurs vient d'agresser le père en pleine nuit et l'a abandonné pour mort dans sa chambre après lui avoir fracassé le crâne et dépouillé de son portefeuille où se trouvait l'argent qu'il avait retiré de la banque le jour même ! C'est vrai que le père a peut-être manqué de prudence : jour et nuit, les clés restaient sur sa voiture ; sa chambre n'était jamais fermée à clé ; il n'a jamais accepté de prendre un gardien... On ne sait exactement ce qui s'est passé. Le 5 janvier 1996, vers 1 heure du matin, le père reprend connaissance ; il est couvert de sang, ne se souvient de rien et réussit à se traîner jusque chez son cuisinier à plus de cent mètres de sa maison. Les sœurs le conduisent à l'hôpital de Natitingou, transfusion, 5 plaies à la tête, une au front, une derrière la tête qui a causé une fêlure du crâne, des bleus, une dent cassée. Il doit rentrer en France et sa convalescence prend plus de temps que prévu. Il faut de plus lui enlever la rate en mars 1996. "J'ai appris qu'une rate normale pesait 200 grammes, celle qu'on m'a enlevé pesait 1 kg 700 !" Finalement, il peut retrouver le Bénin en mai 1996. Mgr Assogba, alors administrateur du diocèse, est tout heureux du retour du père. Malheureusement, il est de nouveau rapatrié en août, mais quelques mois plus tard, il repart encore : ce sera la dernière fois, car sa santé continue de lui poser des problèmes. En septembre 1997, il a la joie d'assister à l'ordination épiscopale de Mgr Pascal N'Koué, l'un des 5 prêtres originaires de Boukombé à cette date ; ce sera sa dernière grande joie vécue au Bénin. En décembre, il fait ses valises pour la dernière fois. Après quelques mois à Rezé, toujours pour des soins pour ses yeux, il rejoint la maison de retraite de Montferrier
Depuis 2003, il est pratiquement aveugle. Même s'il continue à promener sa bonne humeur dans la maison, la vie lui pèse. On le voyait pourtant encore régulièrement, chaque après-midi après le goûter, prendre l'air sur le petit banc de pierre en haut de l'entrée de Montferrier, en compagnie des anciens de l'Atakora, fumant un petit cigarillo et tenant des propos destinés à refaire à leur façon le Nord Bénin ! Il n'avait jamais quitté Koussou ; il y était toujours… Le 6 mars au soir, il était encore à table avec ses confrères, comme d'habitude : une soupe, un yaourt et un peu de fromage blanc. Il a quitté la table sans problème, mais en traînant la jambe comme depuis quelques semaines. Une demi-heure plus tard, il était mort sur son lit et la dame qui venait l'aider à se mettre au lit n'a eu aucune réponse quand elle l'a appelé.
Pour conclure, je reprends le début de l'homélie prononcée le jour des obsèques : "La mort est toujours une épreuve, une souffrance pour la famille et les amis de celui qui les quitte ; elle est aussi souvent difficile et effrayante pour ceux-là mêmes qui la sentent venir. Pour Ange, au contraire, la mort était désirée, souhaitée. Combien de fois n'a-t-il pas dit à la mort d'un confrère : quelle chance il a d'être parti, je souhaiterais que ce soit mon tour."
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