Société des Missions Africaines –Province de Strasbourg
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né le 27 avril 1911 à Muhlbach sous Munster dans le diocèse de Strasbourg, France membre de la SMA le 27 octobre 1935 décédé le 8 mars 1991 |
1935-1936 Vigneulles, menuisier 1936-1939 Haguenau, menuisier décédé à Barr, France, le 8 mars 1991, |
Le frère Martin BATO (1911 - 1991)
Martin Bato est né le 27 avril 1911, à Mulhlbach-sur-Munster, village de la vallée de Netzeral, au diocèse de Strasbourg. Il fit ses études primaires à l’école communale. Au commencement, ce fut l’école allemande, en des temps difficiles, du fait de la guerre.
Après l’armistice de 1918, ce fut l’école française et l’on devine qu’il fallut accomplir un effort extraordinaire d’adaptation pour passer à une langue jusqu’alors totalement étrangère. La difficulté ne rebuta pas notre écolier et la tension plus forte lui fut finalement bénéfique : grâce à cette double instruction, il sut s’exprimer et écrire en français et en allemand.
Dans son village d’une vallée vosgienne, il apprit aussi à connaître les contraintes de l’ancienne agriculture de montagne, dure et de faible rapport, le plus souvent uniquement manuelle lorsqu’il s’agissait de faucher et de faire sécher les foins, d’arracher les pommes de terre, d’abattre des arbres et de préparer le bois de chauffage. Le jeune Martin eut une bonne expérience de ces ouvrages. Cependant il ne pensait pas engager entièrement son existence dans le travail des champs.
Ses classes primaires achevées, il s’était orienté vers l’artisanat, choisissant le métier de menuisier. Et il fit de tels progrès au cours de son apprentissage que, vers sa vingtième année, il était passé maître de son art. Au reste, en même temps que bon ouvrier, soigneux et travailleur, on le remarquait dans sa paroisse comme un chrétien fervent, d’une conduite irréprochable. On ne fut donc pas étonné lorsque, au temps de son service militaire, il fit savoir qu’il souhaitait se consacrer à Dieu comme Frère dans une Société missionnaire.
Sa résolution était bien prise et, libéré de la caserne au début du mois d’avril 1933, il se rendit, le 25 du même mois, à Vigneulles, à la maison des Missions Africaines. Vigneulles est un petit hameau des environs de Metz. On vantait les agréments de notre maison, qui abritait depuis 1922 le noviciat des futurs Frères. Située sur une petite colline et entourée d’un beau parc aux arbres majestueux, elle était gaie et ensoleillée.
Dès son arrivée, le jeune Martin Bato se montra consciencieusement respectueux à l’égard des règlements et coutumes d’une maison de formation. Animé d’une piété profonde, s’accordant bien, malgré une certaine vivacité de caractère, avec ses compagnons de noviciat, il suivit volontiers les directives que lui proposaient ses supérieurs. Bien des années plus tard, il rappellera encore comme une chance, d’avoir pu accomplir son noviciat sous la direction des excellents Pères de Vigneulles.
Il fut heureux, en ces années de formation, d’apprécier toujours mieux la beauté de sa vocation, sachant que, dans les métiers les plus divers, de menuisiers, charpentiers, jardiniers et bien d’autres, soit dans les pays de missions, soit dans les maisons de communautés en Europe, les Frères ont un rôle magnifique dans une Société missionnaire vouée à l’extension du règne de Dieu sur la terre. Pour encourager les futurs Frères, nos vieux textes, qui leur étaient commentés dans les lectures spirituelles, ne manquaient pas de rappeler que, dans les postes de Frères beaucoup d’hommes se sont sanctifiés, que l’Église en a béatifié et canonisé un très grand nombre, dont plusieurs missionnaires. Le jeune aspirant Martin aima de plus en plus sa vocation. Pour le moment, il comprenait que l’essentiel était de prier, d’étudier Jésus-Christ, d’en prendre les pensées et les sentiments, de se former à la vie intérieure.
Au bout de deux ans et demi, c’est sans hésitation que l’aspirant Martin s’engagea au service des missions. C’était le 27 octobre 1935. Le Supérieur du noviciat, qui était le Père Joseph Fischer, le reçut dans la pieuse Société des Missions Africaines.
Le Frère Martin resta ensuite d’abord quelque temps à Vigneulles. La maison de Vigneulles, en même temps que maison de prière, était un lieu de formation professionnelle pour les aspirants. Elle préparait des imprimeurs, des menuisiers, des jardiniers aussi, qui pouvaient travailler dans un vaste jardin potager, bien abrité du vent et exposé au soleil. La menuiserie, grâce aux dons d’un généreux bienfaiteur, s’était dotée récemment d’une belle machine combinée. Le Frère Martin qui, pendant son noviciat, s’était révélé comme connaissant parfaitement le métier de menuisier, fut naturellement désigné pour continuer d’assurer le bon fonctionnement de cet atelier. Mais bientôt on eut besoin de ses services dans notre menuiserie de Haguenau. Il quitta donc Vigneulles et arriva à Haguenau le 27 février 1936.
Il y avait alors à Haguenau une nombreuse communauté de Frères, qui animaient divers ateliers. L’atelier de menuiserie était l’un des plus importants à cette époque. Le Frère Jean Maurer, un Suisse, excellent menuisier, s’y trouvait depuis le 19 juillet 1935. En ce temps, les menuisiers, entre autres travaux, étaient occupés à la fabrication de ruches d’abeilles. En effet, au mois de mars 1935, notre Province de l’Est avait obtenu la cession du brevet d’invention d’une certaine sorte de ruche horizontale, brevet déposé en 1927 par un curé lorrain, l’Abbé Jung, retraité à Obervisse. De la vente des ruches Jung, on pouvait espérer quelque bénéfice, chose appréciable en un temps de pauvreté. À cela, en 1936, une nouvelle activité, plus urgente, vint s’ajouter. C’était que, à Saint-Pierre, notre grand séminaire était en construction. Pour meubler cette nouvelle maison, il fallait fournir des armoires, des tables, des bureaux, des bibliothèques. Cela fut fait à Haguenau. Les séminaristes qui entrèrent au séminaire, le jour de l’ouverture, le 19 novembre 1936, purent apprécier l’œuvre des Frères Jean et Martin et de leurs collaborateurs. Ils virent que c’était de l’ouvrage soigné. Déjà et depuis longtemps, nos deux Frères ne pensaient pas qu’un ouvrier puisse se contenter de l’à-peu-près.
Au mois d’octobre 1937, le Frère Jean fut affecté à la Mission de Lomé. Le Frère Martin continua à Haguenau l’emploi de menuisier. Il y fut d’abord bien aidé par le Père Sirlinger qui, alors en congé, vint passer l’hiver 1937-1938 à Haguenau. Il occupa une chambre dans le bâtiment des ateliers, trouva abondamment de quoi exercer ses talents de menuisier, métier qu’il avait appris, avec plusieurs autres, à Shendam, sous la conduite du Père Schahl. Il retourna au Nigeria au mois de mai 1938.
Au début de la Seconde Guerre mondiale, le Frère Martin fut mobilisé. Il connut les veilles pénibles de la garde et de la surveillance aux frontières sur le Rhin. Malgré les tracas de la vie militaire, il s’efforça de rester toujours en bonne humeur et de ne pas se plaindre. Chaque jour, il gardait un temps pour la prière et il acceptait les contrariétés présentes avec esprit de foi, tout en espérant revenir encore aux œuvres des Missions Africaines. Lors de l’offensive des troupes allemandes, son unité devait se replier vers la Schlucht et Gérardmer, mais elle fut surprise près de Gunsbach. Un accrochage eut lieu, il y eut des morts et des blessés. Le Frère s’en tira sans mal. Fait prisonnier, il fut libéré le 24 juin 1940.
Il voulait, sans tarder, retourner à son travail. À Haguenau, ce n’était plus possible. Notre Établissement avait été occupé par l’armée française et il allait être transformé en hôpital militaire allemand. Le Frère rejoignit Vigneulles au mois de novembre 1940. Mais ce ne fut pas pour longtemps. Ces jours-là, les autorités occupantes allemandes procédaient à un grand nombre d’expulsions dans la population lorraine. La communauté de Vigneulles fut victime de ces expulsions. Le Frère Martin, ainsi que le Père Louis Gester, qui était directeur de la maison, durent quitter et furent dirigés vers la France de l’intérieur. C’était le 21 novembre 1940. Ils se rendirent à Lyon, à la maison des Missions Africaines. Le Frère Martin y resta une année. Puis, il put partir pour le Togo et, au mois de novembre 1941, il arriva à Lomé, où il retrouva avec joie le Frère Jean à l’École Professionnelle de la Mission catholique.
Cette École, fondée en 1905 par les Pères du Verbe Divin, était une œuvre importante de la Mission. Elle était dédiée à saint Joseph. La Mission y formait des jeunes apprentis dans divers ateliers : imprimerie, reliure, forge, menuiserie, ébénisterie, mécanique. C’est à l’École Professionnelle de Lomé que, pendant des années, les artisans du Togo ont appris leur métier. À la menuiserie, on fabriquait plusieurs sortes de meubles, des tables, des armoires. Le travail était exécuté avec soin. On nous dit, par exemple, que les pièces de meubles sont assemblées avec des chevilles de bois, jamais avec des clous. L’apprentissage comprenait une formation pratique, mais aussi des connaissances théoriques.
Ce fut donc là maintenant la tâche journalière du Frère Martin : apprendre aux ouvriers à fabriquer des meubles, en leur donnant aussi l’amour du travail bien fait. Tâche pleinement missionnaire puisque, comme le Pape Jean-Paul II le rappelle dans l’Encyclique sur la Mission, il y a un lien étroit entre l’annonce de l’Évangile et la promotion de l’homme. Il faut dire que bientôt les circonstances contrarièrent le Frère Martin : dès le mois de mai 1943, il fut mobilisé et, envoyé en garnison à Cotonou, il dut y rester assez longtemps. Mais enfin, démobilisé en juillet 1945, il rentra à l’atelier de Lomé. Ce fut heureux, car le Frère Jean, après huit ans de séjour ininterrompu, était à bout de forces et devait prendre un temps de repos en Europe. Il fut même obligé de prolonger ce congé et ne put reprendre ses fonctions de directeur de la menuiserie à Lomé qu’au mois de juillet 1947. Mais il n’avait pas été inquiet durant son absence, sachant que le Frère Martin le remplaçait dans l’atelier.
Le Frère Martin partit à son tour en congé au mois de juin 1948. Il revint à Lomé au mois de novembre 1949, non sans avoir rendu en Europe les services qui lui étaient demandés et que son art et sa disponibilité lui permettaient de donner. Un petit fait, à l’occasion de son retour à Lomé, nous révèle son esprit surnaturel, légèrement teinté d’humour. La peine d’un second départ, on le sait, est souvent ressentie plus sensiblement que celle de la première séparation. Or le soir où notre missionnaire, à la fin de son congé, allait quitter sa famille à Munster, la pluie ruisselait sur la ville. La maman Bato était fort émue. Oh ! lui dit Martin, ne versons pas de larmes, il y a déjà tant d’eau qui tombe dehors !, et, là-dessus, chacun d’un cœur généreux, accepta le sacrifice de la séparation, dans la joie de se confier en la Providence de Dieu, qui dirige chaque chose avec sagesse.
Le Frère Martin vint de nouveau en Europe pour un congé en décembre 1954. Il avait grande préoccupation cette fois de ne pas s’attarder, ne voulant pas que le Frère Jean à Lomé ait tout le travail à lui seul. Il dut pourtant encore patienter. Sans doute on savait en Europe combien son travail et son bon esprit étaient appréciés à l’École Professionnelle et combien il était nécessaire à côté du cher Frère Jean. Mais on avait dû lui demander de commencer à Haguenau un travail important et urgent et il ne pouvait repartir avant de l’avoir terminé : les élèves ne pourraient pas rentrer aux dortoirs après les vacances et il y rejoignit le Frère Jean. Ensemble ils continuèrent leur métier de dévouement pendant encore dix ans, jusqu’au 17 octobre 1965, date de retour en Europe du Frère Jean. Le Frère Martin rentra le 22 avril 1966.
L’un et l’autre avaient toujours eu beaucoup à faire, surtout en certaines circonstances, comme lors de la construction de l’hôpital d’Afagnan ou de celle de la nouvelle librairie catholique du Bon Pasteur. Leur dernière œuvre commune fut leur contribution à l’installation des grandes orgues dans la cathédrale de Lomé. En 1965, plusieurs caisses, envoyées par une manufacture allemande, avaient peu à peu été débarquées au wharf de Lomé. C’étaient les orgues pour la cathédrale. Or il était besoin, pour les monter, de les pourvoir d’une vaste boiserie. Et l’on vit alors l’École Professionnelle des Frères Jean et Martin et leurs ouvriers en grande activité pour assembler les pièces d’un meuble immense, qui était l’enveloppe décorative de bois destinée à être le support de la tuyauterie et du mécanisme des orgues. Ces orgues furent installées dans les derniers mois de 1965. Inaugurées liturgiquement la nuit de Noël, elles furent bénies solennellement le 14 janvier 1966.
Rentrés en Europe, les deux Frères devaient se retrouver ensemble, en 1966, à Haguenau. Ils y furent grandement appréciés, tant par leur régularité exemplaire que par les services qu’ils rendaient dans le métier de la menuiserie. Ils eurent alors spécialement le souci d’améliorer les dortoirs du collège, en aménageant pour chaque élève un mobilier pratique et bien personnalisé. Comme toujours, leur travail était solide et achevé. Quand on leur disait qu’il ne serait pas nécessaire de donner aux meubles un soin si minutieux, parce que personne ne verrait les menus détails cachés, le Frère Martin rectifiait, en reprenant les paroles de nos vieux artisans du Moyen Âge : Non, les hommes ne le voient pas, mais le Bon Dieu le voit.
Le Frère Jean et le Frère Martin quittèrent Haguenau en 1985 pour entrer à la maison de retraite de Saint-Pierre. Après avoir tant travaillé, le temps de repos était venu pour eux. Temps de silence, non pas d’un pesant silence de lassitude, mais silence de prière et d’adoration. Temps aussi de parfaite amitié. En caractérisant fort justement la vie du Frère Martin par le terme de fidélité, fidélité dans la prière, dans le travail, dans l’engagement au service de la Mission, le Père Lucien Derr, Provincial, dans l’homélie des obsèques, a bien marqué aussi la fidélité du Frère à son compagnon inséparable, le Frère Jean Maurer. Unis, dit le Père Provincial, dans le travail à la menuiserie de Lomé et à Haguenau, les Frères étaient encore plus unis à Saint-Pierre quand l’âge et la maladie les avaient contraints à l’inactivité. Nous n’avons pas oublié cette image touchante du Frère Martin guidant le Frère Jean du matin au soir. Nous les revoyons s’attendant l’un l’autre, se tenant par la main et surtout passant de longues heures ensemble à la Chapelle, accrochés à leur chapelet.
Le Frère Jean mourut le 21 août 1989. Le Frère Martin ensuite eut à supporter les peines et misères qui menacent le grand âge. Très affaibli, il perdait peu à peu son autonomie. Sa souffrance fut adoucie par la bonté et par l’aide de ses confrères s.m.a. et des Sœurs n.d.a. de notre familiale et si fraternelle communauté de Saint-Pierre. Mais son état s’étant finalement beaucoup aggravé, il dut être confié à l’hôpital de Barr. Il y fut soigné aussi avec beaucoup de dévouement. C’est à l’hôpital, le 8 mars 1991, que finit la vie simple et toute modeste du Frère Martin. Il était âgé de presque 80 ans, nous laissant l’exemple bienfaisant d’une longue fidélité.
Nous pouvons dire, en prenant pour exprimer notre pensée, les termes d’un texte de saint Pie X, que le Frère Martin avait obtenu la grâce de travailler avec conscience et avec joie, avec ordre et patience, avec pureté d’intention, tout pour Jésus, tout pour Marie, tout à l’exemple du glorieux saint Joseph. Oui, par là, il a été pour nous un modèle. Et nous, qui avons eu la joie de le connaître, nous remercierons le Seigneur d’avoir donné aux Missions Africaines le cher Frère Martin.
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